Jean Vergnon se souvient de l’arrivée du Front populaire et de l’ambiance joyeuse à Bergerac, mais précise qu’il n’y a pas d’engagement politique particulier dans sa famille. Les congés payés sont un bon souvenir pour lui, dans la mesure où il partait chaque année en vacances au bord de la mer avec ses parents. Alors qu’il séjournait dans les Pyrénées, il a le souvenir précis de l’arrivée des réfugiés espagnols, démunis et désespérés. À la fin des années 1930 sa famille suit avec inquiétude la montée du nazisme en Allemagne.
À la déclaration de la guerre, Jean Vergnon se souvient de l’afflux de réfugiés, parfois accueillis dans la maison familiale, mais aussi de militaires Français en débâcle. Lorsque le maréchal Pétain est arrivé au pouvoir, sa famille a confiance, particulièrement sa mère qui était très pieuse. Il souligne le rôle des prêtres de la région de Bergerac, très favorables au maréchal Pétain. Puis ce fut l’arrivée des nombreux réfugiés alsaciens, accueillis à Bergerac dans des conditions nettement moins confortables que dans le département du Bas-Rhin. Il souligne l’existence d’un courant pronazi parmi la jeunesse alsacienne.
Jean Vergnon est alors passionné de sport et de gymnastique et s’entraîne en vue du concours national de recrutement des professeurs d’éducation physique. Pour cela, sa mère l’a inscrit au Club des enfants de France, un patronage. Il côtoie deux gymnastes, Charles Mary et Lucien Desmoulin, tous deux d’origine alsacienne et policiers à Bergerac. Après une discussion au sujet de la radio de Londres, ils décident d’intégrer Jean Vergnon à leur réseau, et le recommandent fin 1943 pour un emploi au commissariat, en qualité de requis civil pour l’établissement de cartes d’identités. Compte tenu de ses fonctions, il disposait d’un laissez-passer lui permettant de circuler la nuit sans être inquiété. Il pouvait donc assurer un travail de Résistant légal, d’agent de liaison et de transport d’armes. Il a également établi de très nombreuses fausses cartes d’identité, et, grâce à la complicité d’une secrétaire, obtenu une copie d’une liste de personnes à rafler : des Juifs de la région de Bergerac et des Résistants, qui ont pu échapper aux arrestations. Jean Vergnon précise qu’il n’était en relation directe qu’avec que très peu de Résistants, hormis les deux inspecteurs avec lesquels ils forment une unité triangulaire. Il souligne la complexité de l’organisation, imprégnée de secret et de silence : constatant les bonnes relations entre l’occupant et le secrétaire du commissaire de police, il était amené à penser que ce dernier était collaborateur. Il apprendra bien plus tard que cet homme était un authentique Résistant (il s’agit d’Henri Vincent, commissaire de police en retraite, dont le témoignage a été enregistré en juin 2008 par les Archives départementales de la Dordogne).
Jean Vergnon parle également de son frère, incorporé dans un Chantier de la jeunesse à Toulouse et requis directement au sein de ce chantier par le Service du travail obligatoire pour la Flugmotor à Vienne e, Autriche (parcours similaire à celui de Pierre Ciana, dont le témoignage figure sur ce site).
Fin juin 1944, Jean Vergnon est arrêté par les Allemands après un contrôle où ils constatent que sa carte d’identité est tronquée. Détenu et frappé, il a cependant pu s’échapper par un soupirail durant la nuit. Au moment du débarquement Allié, il quitte son emploi et rejoint le maquis de Bergeret (Maurice Loupias, dit Bergeret, chef de l’Armée secrète en bergeracois) pour intégrer son corps franc.
Le 11 juin 1944, il participe au combat de Mouleydier et lors d’un accrochage il transporte un blessé sur son dos. Il précise les causes de la concentration de troupes allemandes dans la région, liées à une rumeur organisée par les Alliés visant à faire croire au parachutage d’une ou deux divisions dans le secteur. Puis il participe au combat de la Ribeyrie (commune de Lembras), le 14 juin 1944 où une embuscade est menée avec succès contre les troupes d’occupation. Il souligne le manque d’encadrement militaire et le manque d’armes des maquis.
Il participe à l’investissement de Bergerac en août 1944, et parle des évènements festifs mais aussi de la tonte des femmes, évènement qui l’a particulièrement marqué.
Sergent au 26e Régiment d’infanterie, il est parmi le contingent dirigé vers les poches de l’Atlantique : il participe aux combats de Royan puis La Rochelle, en soulignant l’inadaptation de l’armement à ce type de combats. Puis, en mai 1945 il est embarqué à Cognac à bord d’avions pour l’Algérie, où il s’agit d’assurer le maintien de l’ordre. Mais en réalité il n’a pas de mission et reprend son entraînement sportif. Il déclare au colonel Mingasson ne pas vouloir s’engager, n’ayant pas la vocation du métier des armes. Il regagne la France en septembre 1945 et se fait démobiliser.
Retenu au concours national de recrutement des professeurs d’éducation physique en 1943, juste avant d’entrer dans la clandestinité, il se rend à Paris pour être intégré. Il est en proie à des difficultés administratives liées à son engagement dans la Résistance, puis parvient à suivre le cursus durant deux ans. Troisième de sa promotion, il choisit son lieu d’affectation et devient professeur d’éducation physique en Dordogne.
Ce n’est qu’à sa retraite qu’il accepte d’évoquer son parcours dans la Résistance : en effet, durant toute sa carrière professionnelle, il n’a pas tenu à s’exprimer, déçu par le rôle politique que l’on a fait tenir à la Résistance dans l’après-guerre.