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De Dunkerque à Sachsenhausen (2) - Marcel Debrouwer

Le témoignage

Marcel Debrouwer (2) - Témoignage intégral
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Marcel Debrouwer souhaite apporter des précisions sur le camp de Vught en Hollande, dans lequel il a passé une année. Il décrit les conditions de la vie concentrationnaire et notamment les humiliations : les déportés ne sont plus des hommes mais des « stück », c'est-à-dire des morceaux, des pièces. Il raconte également comment un soldat nazi lui a demandé sans raison, et pistolet dans le dos, d’imiter les sauts d’une grenouille à travers le camp. Il explique que les chiens de garde étaient spécialement dressés pour l’attaque des prisonniers, et que les déportés adoptaient certains réflexes de prudence : lors des veilles de fêtes les soldats recherchaient des permissions spéciales, accordées si ceux-ci empêchaient une évasion. Pour simuler une évasion, les gardes prenaient le « mütz » (béret) d’un déporté et le lançaient sur les barbelés. Les déportés ne pouvaient approcher à moins de quinze mètres les barbelés du camp, sous peine d’être abattus. Sous la menace d’une arme, la victime n’avait d’autre choix que d’aller chercher son « mütz » et d’être abattue pour tentative d’évasion. Il décrit également les appels interminables du matin et du soir, quel que soit le temps.
Puis il évoque l’évacuation vers Sachsenhausen-Oranienburg en septembre 1944, dans des wagons où les déportés sont entassés à 110 personnes : il était impossible de s’asseoir, s’allonger ou faire ses besoins. Marcel Debrouwer décrit la soif, plus insupportable que la faim. C’est en léchant la rosée du matin sur les barbelés de l’ouverture du wagon qu’il a pu avoir un peu d’eau. Après deux jours et trois nuits, ils arrivent à Sachsenhausen où ils sont mis à disposition de l’usine Enckel (orthographe imprécise) à quelques kilomètres d’Oranienburg. Ils sont installés dans un camp secondaire et travaillent à la fabrication d’ailes d’avions. Les conditions de travail sont pénibles, avec une carence alimentaire considérable : soupe d’épluchures, pain à raison de 250 grammes par personne, et très rarement un ersatz de saucisson avec de la margarine. Marcel Debrouwer décrit alors les conditions de la survie des déportés au sein d’un camp de concentration : être jeune, en bonne santé, et surtout ne pas être isolé. C’est pour cela que les membres d’une communauté, ayant foi en un idéal ont mieux survécu : ce fut le cas des communistes et des religieux.
Au printemps 1945, la production industrielle est fortement ralentie et Marcel Debrouwer peut voir des réfugiés sur les routes fuyant l’avancée des troupes soviétiques. Au début du mois de mai les nazis quittent le camp dans la précipitation en invitant les déportés à les suivre, les menaçant du sort que leur réserveraient les soviétiques. Mais tous les déportés demeurent sur place. Marcel Debrouwer pèse alors 32 kilogrammes. Livrés à eux-mêmes, ils quittent le camp à pied en direction de Berlin. C’est là qu’ils apprennent le cessez le feu et la fin de la guerre. Avec un camarade belge ils sont recueillis dans une caserne soviétique puis transportés à Magdebourg vers la zone d’occupation française, où ils sont auscultés par des médecins américains. Ces derniers leur recommandent de manger modérément et de boire du lait : compte tenu de leur état de santé, une alimentation riche et brutale pouvait les mener à la mort. Ils sont rapatriés en France via la Hollande et la Belgique car le réseau ferroviaire allemand est ravagé par la guerre. À Liège, il fait prévenir sa famille par le poste de radio de la gare : il apprendra plus tard que ses parents ont connu une immense joie, alors que la Croix-Rouge suisse leur avait annoncé sa mort. À Paris, il est conduit comme tous les déportés à l’hôtel Lutécia avant de rejoindre une de ses sœurs rue Taitbout.
Il profite de l’occasion pour s’inscrire à la Fédération des déportés et recueillir du matériel pour organiser un comité à Berck. C’est avec un médecin Juif qui a perdu sa famille dans les camps de la mort qu’il constitue ce comité dans le Pas-de-Calais : ils organisent des réunions publiques dans le département. Il reprend également ses activités au Parti communiste.
Sa fédération de déporté l’informe qu’une jeune fille, déportée à Ravensbrück à l’âge de 17 ans, est hospitalisée à Berck. Marcel Debrouwer lui rend visite pour lui porter des colis. C’est aujourd’hui madame Geneviève Debrouwer.
Par l’intermédiaire de son père, gardien de la colonie de vacances de Montreuil à Berck, Marcel Debrouwer entre en contact avec le maire de Gentilly. Alors sans emploi, ce dernier lui propose le poste de gardien de la colonie de vacances de Gentilly à Excideuil en Dordogne.
C’est en 1950 qu’il s’installe à Excideuil et y poursuit son activité de militant politique.
  • Témoin(s) :
    Debrouwer Marcel En savoir plus

    Marcel Debrouwer est né en 1918 à Colombes (Hauts de Seine). Sa famille s'installe à Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais) où il se rapproche des Jeunesses communistes auxquelles il adhère en 1934. En 1937 il adhère au Parti communiste français et à la déclaration de guerre il est mobilisé dans une unité des transmissions qui se trouve prise au piège à Dunkerque en juin 1940. Évacué vers l'Angleterre, il regagne la France où il est affecté à la surveillance aérienne. Démobilisé en 1941 il rejoint sa famille à Berck et reprend ses activités militantes. Arrêté par la Gestapo, condamné comme individu dangereux, il est emprisonné puis déporté au camp de Vught (Hollande) en octobre 1943. En octobre 1944 il est déporté vers Sachsenhausen-Oranienburg (Allemagne). À la libération du camp en mai 1945 il regagne la France via Berlin. Il s'engage au sein de la fédération des déportés puis reprend son activité politique à Berck, avant de s'installer en Dordogne.

  • Description :

    Entretien réalisé le 5 juin 2009 à Saint-Martial d'Albarède. Durée : 1 h 06 min 00 s

  • Sujet(s) :
    Armée rouge (URSS), Avion, Camp d'internement, Croix Rouge, Déporté, Évacuation, Fédération des déportés, Parti communiste
  • Lieu(x) :
    Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais), Sachsenhausen-Oranienburg, camp de concentration (Allemagne), Vught (Hollande)
  • Evénement(s) :
    Front populaire (1936-1938)
  • Cote :
    14 AV 29

Photos

Toutes les pistes audio de ce témoignage

  • Le camp de Vught
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    Marcel Debrouwer parle du droit de vie ou de mort que les gardiens avaient sur les déportés, les humiliations quotidiennes et certaines techniques des SS pour obtenir des faveurs de leur supérieur. Une permission supplémentaire était accordée aux gardiens déjouant une évasion : Marcel Debrouwer a vu un gardien jeter le mütz (chapeau) d'un déporté vers les barbelés du camp, ordonner au déporté d'aller le chercher et l'abattre pour tentative d'évasion. Il parle également des conditions de l'appel, chaque matin, où les déportés sont des stücks (morceaux). Au retour du travail, les appels pouvaient être très longs, par tous les temps. Il évoque une grande peur, après s'être endormi, avoir oublié l'appel et croisé un gardien.
  • Évacuation de Vught pour Sachsenhausen
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    Il décrit les conditions de transport durant deux jours et trois nuits, et parle de la soif, plus terrible que la faim selon lui. À l'arrivée au camp de Sachsenhausen, il se souvient qu'on leur a jeté du pain, qu'ils ont attendu nus dehors pour avoir des vêtements. Ils sont ensuite mis à disposition de l'usine Enckel, mais il n'y a ni travail ni place pour eux.
  • Le travail pour l'industrie de guerre allemande
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    Les déportés sont placés dans un camp secondaire où ils fabriquent des ailes d'avions. Il y décrit les conditions de travail dans le froid, et les carences alimentaires.
  • Libération de Sachsenhausen
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    Au printemps 1945, le travail est régulièrement interrompu et les déportés constatent la fuite de civils allemands jetés sur les routes. Il décrit le Noël 1944 dans le camp. Au mois de mai 1945, le chef de camp informe les déportés que leurs geôliers partent et les invite à les suivre. Aucun déporté ne les suit, et au matin du 5 ou 6 mai deux soldats soviétiques se présentent à l'entrée du camp. Marcel Debrouwer quitte le camp à pied en direction de Berlin en compagnie de quelques camarades. Marcel Debrouwer apporte des précisions quant à son état de santé à la libération du camp. Il n'a pris conscience de son état que lorsque les nazis ont quitté le camp, et qu'il a pu se peser (32 kilogrammes). Ils sont recueillis à Berlin dans un casernement soviétique, puis transférés en zone française à Magdebourg. Auscultés par des médecins américains, il leur est recommandé de s'alimenter avec parcimonie. Transportés dans un train de voyageur, Marcel Debrouwer et ses compagnons regagnent la France via la Hollande et la Belgique.
  • Résistance dans les camps
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    Marcel Debrouwer évoque les différentes formes de résistance dans les camps et les moyens de survivre. Il décrit l'adhésion à une communauté ou un groupe et le maintien d'un esprit tourné vers l'espoir comme des conditions essentielles à la sauvegarde de la vie des déportés.
  • Retour en France
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    À Liège (Belgique) il parvient à faire parvenir des informations à sa famille. Il apprendra plus tard l'immense joie de ses parents qui le croyaient mort après un courrier de la Croix-Rouge. Il se souvient d'une femme qui voyageait avec eux et qu'il suspecte : au contraire des autres déportés très affaiblis, elle buvait du vin sans être ivre. À Paris il est accueilli à l'hôtel Lutetia, puis rejoint sa sœur qui réside rue Taitbout.
  • La Fédération des déportés
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    À Paris il adhère à une fédération de déportés, et recueille du matériel pour créer un comité chez lui. De retour à Berck, en compagnie d'un médecin juif ayant échappé à la mort, il fonde un comité de déportés dont il est le secrétaire. Il reprend également son activité au sein du parti communiste.
  • Rencontre avec une jeune déportée
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    À Berck il est informé qu'une jeune fille, déportée à Ravensbrück, est hospitalisée, et qu'il doit lui remettre un coli. Il raconte la rencontre avec celle qui deviendra son épouse, madame Geneviève Debrouwer. Alors qu'elle doit quitter Berck, il la demande en mariage. Ils se marient et vivent et à Berck.
  • Après guerre à Berck puis installation en Dordogne
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    Il évoque les difficultés pour trouver un emploi à Berck malgré la reconstruction. Son père, gardien d'une colonie de vacances de Montreuil-sous-Bois recevait régulièrement le maire de Gentilly, qui lui propose un emploi à Excideuil (Dordogne) dans une colonie de vacances. Il accepte, et en 1950 s'installe en Dordogne où il poursuit son activité de militant politique et associatif. Il évoque l'emprise de ces activités sur sa famille, et termine en parlant de ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants.