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De Dunkerque à Sachsenhausen (1) - Marcel Debrouwer

Le témoignage

Marcel Debrouwer (1) - Témoignage intégral
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Marcel Debrouwer est né le 2 février 1918 à Colombes (Hauts-de-Seine), et vers l’âge de trois ans ses parents se sont installés à Berck (Pas-de-Calais). Son père y était le gardien d’une colonie de vacances pour jeunes filles juives. Il a passé son enfance entourée de ses deux sœurs et de sa mère, femme au foyer.
Très tôt, il s’intéresse à la vie politique alors que son père est anarchiste. C’est par conviction antifasciste qu’il se rapproche des jeunesses communistes auxquelles il adhère à l’âge de seize ans, en 1934. Le contexte international et les évènements nationaux des années 1930 ne sont pas étrangers à son engagement : la montée des régimes autoritaires fascistes en Italie, Allemagne et Espagne préoccupe Marcel Debrouwer, ainsi que la montée des ligues d’extrême droite en France. C’est en février 1934 que ces ligues antiparlementaires organisent à Paris une manifestation produisant des émeutes. Il décrit une menace réelle pour la République, que sa famille a nettement ressentie. Par la suite, l’arrivée du Font populaire en France soulève l’espoir dans le milieu ouvrier : Marcel Debrouwer se souvient de l’ambiance et des nombreux meetings politiques. C’est à cette époque qu’il a souhaité s’engager dans les Brigades internationales afin de venir en aide à la République espagnole : la politique du gouvernement français l’a profondément déçu. Bien que convaincue de la nécessité de cet engagement, sa mère a refusé de voir son fils partir en guerre. Puis, en 1937 il adhère au Parti Communiste Français (PCF). Son père le suivra également dans cette adhésion.
En 1939 il est mobilisé dans une unité des transmissions de l’Armée française. La déclaration de la guerre l’a particulièrement affecté : il espérait que la politique internationale parvienne à apaiser les tensions. Sur le front du nord de la France, il est dirigé en Belgique afin de contenir l’avancée allemande. C’est là qu’il constate la fuite des civils belges vers le sud, créant la confusion sur les routes également empruntées par les militaires. Il se souvient avoir rencontré de nombreux véhicules conduisant des officiers de l’Armée française en repli, alors que des unités continuaient leur marche vers le nord. Arrivé à Waterloo, où son unité devait stationner, le commandement n’est assuré que par un sergent-chef. Mais le repli devient général, jusqu’à Dunkerque en juin 1940 où les forces franco-britanniques sont encerclées. Marcel Debrouwer décrit les conditions de l’évacuation militaire sur la plage de Dunkerque : les soldats français doivent attendre l’évacuation des britanniques – prioritaires – qui sont embarqués sur toutes sortes de navires (militaires, civils, de plaisance, de pêche) dans un port improvisé. Il attend dans les dunes de sable durant quelques jours. Il décrit la désorganisation qui régnait sur la plage : pas ou peu d’officiers, des unités et des hommes laissés à leur sort sans ravitaillement. L’aviation ennemie procédait à des opérations de harcèlement en bombardant et mitraillant la plage : les avions de type « Stucka » bombardaient en piqué en actionnant leur sirène, dans le but de terroriser les hommes au sol. Marcel Debrouwer est finalement embarqué pour l’Angleterre où il débarque à Douvres. Les Français sont ensuite conduits à Plymouth. Il décrit une ambiance particulièrement étonnante : les hommes sont acclamés par la foule, comme s’ils avaient été victorieux. Il embarque pour la Bretagne, où l’accueil y est moins chaleureux : les anciens combattants de 1914-1918 les conspuent. Puis avec un camarade ils regagnent Bordeaux par la voie ferrée. Ils se rendent au siège du commandement où on leur ordonne de se rendre le plus au sud possible, en raison de l’avancée des troupes allemandes. Dans un village, il se souvient avoir entendu le discours du Maréchal Pétain appelant à la fin des hostilités. Puis ils se rendent en train et à pied à Carcassonne, Montpellier, puis Béziers où Marcel Debrouwer se souvient avoir distribué des tracts anti-pétainistes. Dans les Pyrénées-Orientales Marcel Debrouwer est affecté à la surveillance aérienne : mais il n’a jamais constaté le passage d’avions.
Démobilisé en 1941, il ne peut rejoindre sa famille à Berck en zone côtière interdite. Accueilli par de la famille éloignée, il attend durant trois mois avant de retrouver ses parents : il découvre Berck partiellement évacuée de sa population. Afin de mener l’action contre l’occupant sur place, il lui est difficile de trouver du matériel politique : la Résistance est complexe en zone interdite et urbaine. La guérilla et les maquis ne peuvent s’épanouir comme dans les zones rurales, telles la Dordogne, la Creuse ou la Corrèze précise t-il.
Un soir, la Gestapo fait irruption au domicile familial et fouille la maison : un chargeur de révolver ainsi qu’un poste TSF sont trouvés. Conduits à la mairie où sont rassemblées les personnes raflées, lui et son père sont dirigés sur Montreuil-sur-mer. Dirigeant des jeunesses communistes, il est condamné comme individu dangereux pour la sécurité des forces allemandes. À la prison de Loos-lez-Lille (département du Nord) Marcel Debrouwer est au secret pendant trois mois. Puis il est emprisonné quelques mois au fort d’Huy (Belgique) où il envisage une évasion avec quelques camarades, qui ne se réalisera pas. Il est déporté en octobre 1943 au camp de Vught (Hollande, région d’Hertogenbosch ; en Allemand camp d’Herzogenbusch) où il découvre l’univers concentrationnaire : la tenue spéciale des déportés, l’attribution d’un numéro qu’il faut connaître en Allemand, l’appel qui peut durer des heures. Employé à déblayer des dunes, il réalise aussi divers travaux d’électricité. Devant l’avancée des Alliés le camp est évacué en octobre 1944 : entassés à 110 personnes dans un wagon il voyage plusieurs jours vers le camp de Sachsenhausen-Oranienburg (Allemagne).

Nota :
Poche de Dunkerque : fin mai 1940, les armées franco-britanniques avancées en Belgique pour contenir la progression des troupes allemandes sont prises en tenaille par les armées venant des Pays-Bas et des Ardennes et finalement encerclées à Dunkerque. L’amirauté britannique organise une évacuation militaire de grande ampleur permettant en moins de dix jours de rapatrier environ 400 000 hommes en Angleterre.
  • Témoin(s) :
    Debrouwer Marcel En savoir plus

    Marcel Debrouwer est né en 1918 à Colombes (Hauts de Seine). Sa famille s'installe à Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais) où il se rapproche des Jeunesses communistes auxquelles il adhère en 1934. En 1937 il adhère au Parti communiste français et à la déclaration de guerre il est mobilisé dans une unité des transmissions qui se trouve prise au piège à Dunkerque en juin 1940. Évacué vers l'Angleterre, il regagne la France où il est affecté à la surveillance aérienne. Démobilisé en 1941 il rejoint sa famille à Berck et reprend ses activités militantes. Arrêté par la Gestapo, condamné comme individu dangereux, il est emprisonné puis déporté au camp de Vught (Hollande) en octobre 1943. En octobre 1944 il est déporté vers Sachsenhausen-Oranienburg (Allemagne). À la libération du camp en mai 1945 il regagne la France via Berlin. Il s'engage au sein de la fédération des déportés puis reprend son activité politique à Berck, avant de s'installer en Dordogne.

  • Description :

    Entretien réalisé le 13 mai 2009 à Saint-Martial d'Albarède. Durée : 1 h 29 min 00 s

  • Sujet(s) :
    Arrestation, Bombardement, Camp d'internement, Croix Rouge, Croix-de-Feu (association des), Déporté, Évacuation, Geheime Staatspolizei (Gestapo), Manifestation de protestation, Maquis, Mouvement des jeunes communistes de France, Parti communiste, Radio
  • Lieu(x) :
    Belgique, Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais), Dunkerque (Nord), bataille de, Huy (Belgique), Loos-lez-Lille (Nord), Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais), Sachsenhausen-Oranienburg, camp de concentration (Allemagne), Vught (Hollande)
  • Evénement(s) :
    Entre-deux-guerres, Front populaire (1936-1938)
  • Cote :
    14 AV 27-28

Photos

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  • Présentation
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    Marcel Debrouwer présente ses origines familiales dans le Pas-de-Calais. Il évoque la profession et les activités de ses parents.
  • Déclaration de guerre, mobilisation et déroute
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    Marcel Debrouwer parle de la déclaration de la guerre en 1939, et de ses espoirs de règlement politique et diplomatique du conflit. Il évoque son désespoir lorsqu'iol comprend que la guerre est en marche. Mobilisé dans les transmissions, il était en casernement à Longwy. Le 10 mai 1940 il pénètre en Belgique pour tenter de contrer les forces allemandes. Il évoque la dislocation des compagnies et le désordre qui régnait sur les routes et le sentiment d'abandon des hommes de troupe.
  • Juin 1940 : de la poche de Dunkerque à l'Angleterre
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    À Dunkerque il est parmi les hommes pris en tenaille par l'armée allemande en juin 1940. Il demeure dans les dunes en attendant l'embarquement, les britanniques étant prioritaires. Il parle des bombardements du port et de son embarquement. Il débarque à Douvres et décrit l'accueil très chaleureux de la population anglaise avant de regagner Brest où l'accueil y est hostile.
  • Repli du Finistère aux Pyrénées-Orientales
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    Il décrit son évacuation progressive vers le sud de la France, en compagnie d'un de ses amis. À Bordeaux, ils prennent leurs ordres et on leur demande de continuer le repli vers Toulouse et Montpellier. Dans un village, il se souvient avoir entendu le message radiodiffusé du maréchal Pétain demandant l'armistice. À Béziers il précise avoir distribué des tracts anti Pétain. Puis il est affecté à un poste de surveillance aérienne dans les Pyrénées orientales.
  • Retour à Berck (Pas-de-Calais), zone interdite
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    Libéré de ses obligations militaires en 1941, il précise n'avoir pu rejoindre sa famille à Berck immédiatement, en raison du statut de cette ville en zone interdite. Il peut finalement revenir chez lui après trois mois.
  • La poche de Dunkerque
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    Marcel Debrouwer précise avoir vu des véhicules transportant des officiers supérieurs prendre la direction du sud. Il indique être resté dans les dunes de Dunkerque quelques jours sans ravitaillement et décrit l'état du moral des hommes. Il ne se souvient pas avoir vu des officiers sur la plage et décrit le désordre général. Dunkerque n'est pas tombée sur ordre d'Hitler, car précise t-il, l'équilibre des forces étaient largement en la faveur de l'armée allemande : les soldats français avaient reçus l'ordre de laisser leurs armes. Il décrit les bombardements des plages et l'effet démoralisant des avions Stukas.
  • Engagement politique dans l'entre-deux-guerres
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    Marcel Debrouwer parle de son adhésion aux Jeunesses communistes, dont il est le dirigeant à Berck. Au moment du Front populaire, il prend la parole dans les réunions publiques. En 1937 il adhère au parti communiste, et précise avoir suivi avec attention la politique nationale comme internationale. Il évoque le soutien de sa famille dans ses choix, les manifestations de février 1934 et l'inquiétude que cela a suscité pour lui. Il évoque le rôle des ligues, comme les Croix de feu du colonel de la Rocque.
  • Le Front populaire
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    Il parle du Front populaire et de l'ambiance très politisée de cette époque. La guerre d'Espagne a également mobilisé sa conscience politique : il précise avoir désiré s'engager dans les brigades internationales, mais sans l'autorisation de ses parents il n'a pu le faire. À l'armée, il précise ne pas avoir été inquiété ou puni pour ses opinions politiques.
  • Formation de mouvements de Résistance à Berck
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    À son retour à Berck en juillet 1941, il trouve une ville bombardée et partiellement désertée. En zone interdite, il lui était difficile d'obtenir de l'aide de l'extérieur, et toute activité de loisirs y est interdite. Il précise que l'organisation de mouvements de résistance y était très difficile en raison de plusieurs facteurs (statut de Berck, milieu social, zone urbaine). Jusqu'à son arrestation, il distribue des tracts la nuit. Il précise que cette forme de résistance était d'un tout autre type que celle qui était pratiquée en zone rurale et en Dordogne en particulier où les maquis peuvent se développer. Les formes de la Résistance sont différentes en zone rurale et en zone urbaine.
  • Arrestation
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    Il décrit les conditions de son arrestation. Un soir, alors qu'il est en compagnie de sa famille, la Gestapo fait irruption à son domicile. Un chargeur de revolver ainsi qu'un poste de radio sont découverts : Marcel Debrouwer, son père, sa sœur et son ami sont conduits à la mairie de Berk. Lui et son père sont finalement retenus et retrouvent des connaissances parmi les personnes raflées. Ils sont conduits à Montreuil-sur-Mer où ils sont interrogés, avant de rejoindre la prison de Loos-lez-Lille où il est au secret durant trois mois.
  • Détention à Loos-lez-Lille
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    Marcel Debrouwer apporte des précisions quant à sa détention à Loos-lez-Lille. Il est questionné sur les adhérents aux Jeunesses communistes, puis condamné comme individu dangereux pour les forces allemandes. Mis au secret, il décrit des évènements marquants : il compose clandestinement une chanson sur la prison, la visite d'un prêtre à Pâques lui faisant craindre une exécution, et la sortie de la prison encadrée par des soldats armés lui faisant à nouveau craindre une exécution. Il décrit les conditions de son transfert à Huy via Bruxelles, où il traverse la ville comme un détenu de droit commun.
  • Détention au fort d'Huy (Belgique)
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    Nommé chef de chambrée, il évoque la garde peu sévère assurée par des anciens combattants allemands, et une tentative d'évasion échouée. D'autres détenus l'informent de son transfert vers un camp de concentration, en l'avertissant de la dureté des conditions de détentions.
  • Octobre 1943 : déportation à Vught (Hollande)
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    Il précise avoir peu de souvenirs quant au transfert. Il décrit l'arrivée au camp, à pied, où les détenus à bout de force abandonnent leurs colis alors que les soldats SS abattent les trainards. Il précise que la Croix-Rouge ne lui avait jamais fait parvenir de colis et avait informé ses parents de sa mort. Il décrit leur surprise à la découverte de la tenue des déportés, l'information qui leur est donnée quant aux conditions de travail, leur rire également face à un camarade tondu. Il parle de la douche, sans savon, sans serviette, puis de la distribution des tenues de déporté. Placé en quarantaine, il reçoit son matricule, le 99656 qu'il doit coudre sur ses vêtements et connaître en Allemand, car les déportés sont appelés par leur numéro. Il décrit le déblaiement des dunes et ses divers travaux d'électricité dans le camp, l'appel par n'importe quel temps, les conditions de travail dans l'humidité. Il évoque une discussion avec de jeunes gardiens SS pour envisager une évasion avec eux.
  • Transfert à Sachsenhausen-Oranienburg
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    Devant l'avancée des Alliés, les déportés de Vught sont évacués vers Sachsenhausen-Oranienburg en octobre 1944. Ils sont entassés à raison de cent-dix personnes par des wagons.