Avant le début de la guerre, Raymond Christmann est commis boulanger à Strasbourg et décrit une atmosphère angoissante et tendue en Alsace. Toutefois, un certain optimisme régnait, fondé sur le sentiment d’une guerre rapide et victorieuse.
Il précise qu’en 1939 le plan d’évacuation de l’Alsace-Moselle prévoyait une zone prioritaire et une zone d’attente. Sa famille résidait dans cette dernière zone, et n’a donc pas été évacuée. Le départ était libre, mais ses parents ont longtemps hésité et sont finalement restés sur place. En raison de l’évacuation de la ville de Strasbourg, Raymond Christmann perd son emploi. Son père, quant à lui, a été transféré à Noisy-le-Sec en qualité de personnel cheminot affecté au service « matériel et traction ».
Raymond Christmann prend la décision de quitter l’Alsace pour trouver un emploi dans un département limitrophe : pour cela il s’adresse au service de la main d’œuvre qui lui propose un emploi de commis boulanger dans une coopérative d’alimentation à Thaon-les-Vosges près d’Épinal (département des Vosges). La proximité lui permet de rendre visite fréquemment à sa mère. À la capitulation de la France en 1940, l’Alsace et la Moselle sont annexés à l’Allemagne et une nouvelle frontière apparaît : pour s’y rendre, il faut désormais un laissez-passer et un passeport. Mais ses convictions le conduisent à ne pas revoir sa famille, qui ne connaît pas sa décision. La proclamation de la Relève permet le retour d’un commis que remplaçait Raymond Christmann, qui finalement retrouve un emploi à Nancy chez monsieur Marchal. Ce dernier, originaire de Moselle a été chassé par la Première guerre mondiale, et s’est trouvé dans la même position que Raymond Christmann. Il sera son complice en acceptant de l’employer sans carte obligatoire de travail, document officiel que le jeune boulanger refuse d’établir afin de ne pas être identifié et repéré. Il souhaite entrer en relation avec ses parents et pour cela contacte les cheminots qui continuent à circuler entre Strasbourg et Nancy. L’un d’eux lui permet de communiquer avec son père : une courte lettre de ce dernier lui est transmise, l’informant de l’imminence de l’incorporation de force des Alsaciens dans l’Armée allemande. En septembre 1942, les autorités allemandes somment les jeunes Alsaciens-Mosellans en territoire Français de se présenter à la Kommandantur la plus proche afin d’être rapatriés. Devant le piège, Raymond Christmann décide de fuir avec un ami : ils décident de regagner la zone libre, en faisant étape chez un oncle employé de préfecture à Dijon qui ne peut les héberger par crainte. Ils deviennent de fait des réfractaires. Dirigés chez une cousine, ils organisent le passage de la ligne de démarcation. Au mépris des risques d’arrestation et au hasard des rencontres, ils parviennent à trouver un passeur et à regagner la zone libre. Raymond Christmann souligne la chance dont ils ont bénéficié, ainsi que leur inconscience. À Macon, ils sont recueillis dans un centre pour réfugiés isolés, puis sont dirigés à Lyon où on leur propose de rejoindre l’Afrique du nord, ce qu’ils acceptent. Le transfert étant annulé en dernière minute, ils se dirigent vers Brive (Corrèze) où son ami cheminot est employé au dépôt des chemins de fer. Seul, Raymond Christmann se dirige vers Périgueux, au centre d’hébergement Beaufort. Il travaille alors comme vendangeur, avant de rentrer dans les Chantiers de jeunesse par l’entremise d’un fonctionnaire de la mairie de Strasbourg repliée à Périgueux. Il rejoint le 22e groupement des Chantiers, à Castillon-en-Couserans (Ariège) où il est affecté à la boulangerie. Plus tard, les groupements proches de la frontière espagnole sont évacués vers une destination inconnue : le chantier de Raymond Christmann est installé à Thiviers. Il travaille chez un boulanger du village, mais il est rattrapé par le Service du travail obligatoire (STO).
Ayant connaissance de l’existence de maquis dans la région, il contacte Pierre Maury, l’homme qui assure les passages dans la Résistance. Il est rapidement dirigé vers Milhac-de-Nontron au lieu-dit la Bierge où il reçoit une instruction au maniement d’armes. Il est ensuite incorporé à la 9e compagnie du bataillon Violette, brigade RAC.
Il participe à des accrochages à Mareuil, puis à la libération d’Angoulême, Cognac, Saintes avant d’être dirigé sur le front de l’Atlantique où il combat à Royan.
Le 30 septembre 1944 face à la pénurie de main-d’œuvre, il est réquisitionné en qualité de boulanger à Thiviers, chez Feydit. Il retrouve sa future épouse, et ne signe pas d’engagement pour la durée de la guerre car il souhaite rejoindre sa famille. Il profite d’un convoi pour rejoindre l’est de la France et regagne finalement Bischheim en avril 1945 où il retrouve sa famille, et apprend ce que celle-ci a enduré. En effet, elle a subit les conséquences de sa disparition : son frère Gérard, enrôlé de force dans les jeunesses hitlériennes a connu une rééducation spéciale, car frère de déserteur ; son père a été révoqué des chemins de fer et a trouvé du travail dans une scierie et chez un agriculteur ; sa mère a été harcelée par les Nazis afin qu’elle livre son fils. La famille Christmann apprendra que c’est un voisin qui a espionné et renseigné les autorités allemandes.
À la libération de la France, Raymond Christmann revient en Dordogne où il se marie, et devient boulanger à Thiviers puis Périgueux.
Nota : dans la deuxième partie de l’enregistrement, sous l’effet de la fatigue, Raymond Christmann fait essentiellement la lecture des mémoires qu’il a rédigées.