Le père de Roger Ranoux est ancien combattant de la Première guerre mondiale, de la classe 1911, ce qui signifie qu’il a été mobilisé durant sept années. Il était dans la cavalerie, au 10e Régiment de Cuirassiers et parlait de cette période, notamment durant les repas de famille. Il évoquait également les mutineries de 1917, auxquelles il n’a pas participé. Mais cela lui a forgé un sentiment antimilitariste, pacifiste, mais il ne nourrissait pas de sentiment anti Allemand.
Son père était engagé politiquement : il a adhéré très tôt au Parti communiste français, et fut un militant antifasciste. Il était également adhérant de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). Les discussions politiques étaient nombreuses chez lui, ce qui a assuré la formation politique de Roger Ranoux et de ses frères. Ils prennent conscience des disparités sociales et des conflits d’intérêts des classes sociales. Les réunions du Parti communiste se tenaient beaucoup dans les cafés de Terrasson, mais de nombreuses discussions avaient lieu chez la famille Ranoux.
Roger Ranoux se souvient des manifestations des ligues en février 1934, car cela préoccupait les militants de la gauche. Il se souvient particulièrement de la visite du colonel de La Rocque à Terrasson vers 1935, chef des Croix de Feu, avec une très importante contre-manifestation des militants de gauche, à laquelle a participé Yvon Delbos. Parmi les sympathisants des Croix de Feu de Terrasson, il y a de futurs informateurs de la police allemande, dont Adolphe Denoix, futur chef départemental de la milice. Le père de Roger Ranoux allait régulièrement porter la contradiction à Adolphe Denoix, une action risquée pour lui sous l’occupation. Mais Roger Ranoux précise qu’il a parfois craint pour la sécurité de son père : il suppose que Denoix hésitait certainement à entreprendre des mesures de répression car il savait que ses trois fils étaient Résistants. En 1936, avec l’arrivée du Front populaire c’est un immense espoir pour les militants de la gauche. Mais Roger Ranoux souligne que quelques temps après, il y a eu des grèves très dures, comme à l’usine Progil (papeterie) en 1938, où la grève a duré huit mois. Il souligne que le Terrassonnais était alors un petit bassin industriel et ouvrier avec notamment Progil au Lardin, la verrerie de Bradville à Saint-Lazare et une autre verrerie à Terrasson. Le Lardin a connu en 1936 une grande manifestation de jeunes à laquelle Roger Ranoux a participé. Il décrit les dures conditions de travail pour les ouvriers, notamment les enfants : l’un de ses cousins a été verrier dès l’âge de neuf ans, travaillant douze heures par jour. Dans ces conditions sociales, la semaine de quarante heures décidée par le Front populaire est un immense progrès qui change la vie des ouvriers. Roger Ranoux souligne que cela a modifié les conditions matérielles de vie, mais aussi cela a contribué à forger une conscience politique pour le monde ouvrier. C’est aussi en 1936 qu’il a adhéré aux Jeunesses communistes, avec ses deux frères.
En 1938, les accords de Munich sont un point de discussion et d’inquiétude parmi les militants du Terrassonnais.
Mais la signature du pacte germano-soviétique en août 1939 place les militants du Parti communiste dans l’embarras, surtout après la défaite de 1940. Roger Ranoux considère alors qu’il ne peut pas s’agir d’une trahison de l’Union soviétique.
La défaite française de 1940 est vécue dans sa famille comme un effondrement, puis le vote des pleins pouvoirs à Pétain comme une trahison. L’interdiction du Parti communiste n’empêche pas l’activité militante, qui se poursuit sans difficulté jusqu’en novembre 1942 : les discussions sont encore libres. Le Parti communiste clandestin poursuit une activité politique, organisée par sécurité en petits groupes de trois personnes. Roger Ranoux signale l’existence de groupes clandestins créés très tôt, notamment dans la région de Montignac pour venir en aide aux internés du camp du Sablou (commune de Fanlac, canton de Montignac). Un groupe de Résistance de Montignac prendra le nom, très symbolique, de Jacquou le Croquant.
Après son apprentissage en mécanique, Roger Ranoux exerce divers petits métiers, l’engagement politique de son père et le sien ne favorisent pas la recherche d’emploi sous l’occupation.
Puis vient le temps de la Résistance. Roger Ranoux travaille en 1943 en qualité de chauffeur de poids lourds pour la minoterie Hamelin. Le Service du travail obligatoire est institué mais salarié d’une entreprise du ravitaillement général, il est exempté. En revanche, ce n’est pas le cas de ses frères : ils se sont promis d’entrer dans la clandestinité s’ils sont requis. L’un d’eux se soustrait au STO, se cache mais doit se rendre car son patron est jeté en prison. La victoire soviétique de Stalingrad en février 1943 encourage l’esprit de résistance, et après concertation avec leur père, Roger Ranoux et son frère Guy prennent la direction de la Corrèze en mars 1943. Ils ont en poche un nom de contact à Grand-Chastang, où ils sont accueillis après quelques rebondissements.
Ils rejoignent un groupe de réfractaire au STO installé dans des tentes. Puis quelques jours après ils rejoignent le camp de Léon Lanneau, où de nombreux jeunes venant de toute la France sont installés en trop grand nombre : le groupe de quatre-vingt personnes doit être scindé. Le groupe FTP Lucien Sampaix est fondé, composé de vingt-quatre jeunes sous les ordres d’un militaire, le sergent-chef Latige qui a pour adjoint Roger Ranoux. Les consignes sont strictes : sans appui de la population les maquis ne peuvent se développer, et les maquisards doivent avoir un comportement irréprochable. Ils s’installent dans la région de Gimel où ils bénéficient de l’appui de légaux et de la population. Leur mission principale est le sabotage des moyens de production et d’infrastructures, ainsi que la répression des agents de l’ennemi. Le 14 juillet 1943, le groupe FTP Lucien Sampaix doit saboter une conduite forcée destinée à la production électrique : l’opération est un échec, des coups de feu sont échangés avec des Gardes mobiles de réserve (GMR). Le groupe change de secteur, mais est attaqué par les GMR alors qu’il est sur le point de déménager : les hommes, alertés par des bruits parviennent à fuir mais cinq de leurs camarades sont pris puis déportés. C’est à partir de cette expérience que la sécurité sera renforcée, notamment en assurant une fréquente mobilité. Roger Ranoux apporte des précisions sur la création des noms de guerre, Hercule pour lui, qui donne lieu à un petit rituel.
À l’automne 1943, des jeunes FTP du groupe Lucien Sampaix sont face à une patrouille de gendarmes, et échangent des coups de feu pour se sortir d’affaire: des gendarmes sont tués, ce qui va avoir de lourdes conséquences. La brigade de gendarmerie de Corrèze demande une rencontre avec la Résistance : Roger Ranoux a rendez-vous à la gare de Corrèze et il est décidé que gendarmes et Résistants s’ignoreraient désormais. Avec l’assentiment du commissaire aux effectifs Conangle, Roger Ranoux obtient l’autorisation en décembre 1943 de rejoindre les maquis de Dordogne avec le groupe Lucien Sampaix. Il sait par des contacts que des groupes s’organisent dans le Terrassonnais. Il se rend en reconnaissance à Terrasson en compagnie de Pierre Michaud, qui est son adjoint depuis l’été 1943. Sur les indications de Jacques Teyssou, le groupe s’installe à Coly au lieu-dit Maison-seule. Jusqu’au 12 février 1944, les actions des FTP sont essentiellement fondées sur des opérations de sabotage. Le responsable FTP de la Dordogne leur confie la destruction des locomotives du dépôt de Périgueux. L’opération, menée avec succès en janvier 1944, était préparée par Thomas, désignée et armée par le SOE. Le contact avec le SOE se fait auprès du major Peulevé (agent de la section F du SOE, dit « Hilaire ») par l’intermédiaire de Bonnetot des FTP. À cette époque, l’état-major FTP ne recommande pas d’établir de contacts avec les Britanniques, mais Bonnetot passera outre, et Peulevé équipera cette opération puis l’école des cadres FTP de Fanlac (canton de Montignac).
L’école des cadres des Francs-tireurs et partisans a été formée en Dordogne pour accueillir les jeunes des cinq départements de la région militaire (Corrèze, Creuse, Dordogne, Haute-Vienne et Indre) d’octobre 1943 à mars 1944. La garde de l’école était assurée par des soviétiques, particulièrement efficace et consciencieux. Premier responsable de l’école, Charles Lahousse, qui avait été détenu au camp du Sablou (canton de Montignac), avait estimé que la population du Montignacois était majoritairement acquise à la Résistance : Fanlac était le lieu idéal pour la sécurité de l’école. La formation était essentiellement assurée par des Espagnols : le directeur de l’enseignement militaire était Coy, ancien commandant de l’Armée républicaine espagnole, entouré de Fernandez Deo Gracias (instruction guérilla) et Ortiz (instruction sabotage). L’instruction politique et civique est assurée quant à elle par Roger Lescure, le second responsable de l’école. Le contingent admis est de vingt-cinq personnes, ce qui nécessite une forte logistique et une organisation spéciale pour l’accueil des stagiaires. En mars 1944, l’école est attaquée par la gendarmerie, sans succès, et elle est déménagée à Carlux. Mais elle ne fonctionne pas : elle est à nouveau attaquée le 25 avril 1944 par les GMR du capitaine Jean.
Au sein de la légion géorgienne de l’Armée allemande, composée de huit cent hommes à Périgueux, un noyau de Résistance avait été fondé. Des contacts sont pris avec l’un d’entre eux, le capitaine Sacha, pour les faire passer à la Résistance. Samson Roche, l’un des adjoints de Roger Ranoux parvient à récupérer un groupe de Géorgiens qui rejoindront le maquis. Leur uniforme de l’Armée allemande pose problème : les hommes du maquis sont surpris et leurs uniformes teintés. Ils sont intégrés au 1er bataillon FTP, créé en mars 1944 et dirigé par Roger Ranoux, sous un double commandement (français et géorgien). Leur apport militaire à la Résistance est déterminant, car c’étaient des combattants hors pairs et aguerris.
En Dordogne, les relations entre les FTP et les Britanniques du SOE sont fondées sur la confiance, et des armes ont pu être attribuées aux FTP grâce à ces relations. Roger Ranoux cite l’action du docteur Pierre Daunois, chef d’un maquis de l’Armée secrète dans la région du Lardin (canton de Terrasson), qui a fait bénéficier le groupe FTP Lucien Sampaix d’armes dont il était par principe l’unique destinataire.
Nota :
Lucien Sampaix était un militant du Parti communiste, journaliste de l’Humanité clandestine fusillé le 15 décembre 1941.
Croix de Feu : ligue d’anciens combattants nationalistes dirigée par le colonel François de La Rocque.